Le coeur glacé, Duncan se tenait assit, droit comme un i. Chaque bruit environnant lui parvenait. Il n'entendait plus que cela. La main de Marley lui pressait doucement la cuisse. Tant de tendresse et de réconfort véhiculé en un seul geste mais réduit à néant par l'état dans lequel le jeune homme demeurait. Il avait une désagréable sensation de déjà vu. Rien de bien surprenant, il se tenait là plus de vingt ans plus tôt. A l'époque il n'était âgé que de trois ans. Il se tenait sur sa chaise, reniflant. Son père pressait des mouchoirs contre son nez, seulement il semblait trop chamboulé pour comprendre ce qu'on tâchait de lui faire faire. Soudain, on se pencha vers lui et il leva son petit visage. Sa tante du côté maternelle, la soeur de sa défunte mère, se tenait à côté de lui. Elle en était le portrait craché : un visage en forme de coeur, une longue chevelure bouclée couleur ébène, un regard clair et qui vous perçait à jour. A cette vue si familière, Duncan fondit en larmes. Ses sanglots raisonnaient comme des cris et sa jeunesse ne les rendait que plus douloureusement supportable. Finalement, monsieur Windson dut prendre son petit garçon dont les joues disparaissaient sous des torrents de larmes contre lui pour que les cris cessent. Ils restèrent ainsi durant l'enterrement tout entier, blottis l'un contre l'autre. Le soir venu, ils dormirent ensemble. Doucement la vie sembla reprendre son cours et cependant, Duncan ne put jamais rien en oublier. La page refusa tout bonnement de se tourner. Aujourd'hui, voilà qu'une deuxième page déchirante se présentait sous les yeux du jeune homme. Sauf que cette fois-ci, son père n'était plus là. C'était son enterrement. A côté de lui, plus que son grand père au regard rendu vitreux par la tristesse et sa petite amie. Elle lui marmonna quelque chose d'un ton apaisant mais il n'entendit rien. Il se mordit farouchement la lèvre. Il ne pouvait guère s'autoriser à pleurer. Cela ne pouvait se dérouler comme la dernière fois. Il n'avait plus trois ans. Il pleura cependant ce jour là. Seulement, une différence se fit ressentir : cette fois-ci, il laissa ses larmes couler en silence.
Il rentra ensuite chez lui, main dans la main avec Marley. Il ne la regardait pas, comme uniquement guidé par le chagrin qui l'ébranlait. Une fois dedans, elle l'incita à manger, mais il refusa. Il n'avait absolument pas le coeur à avaler quoi que ce soit, sentant bien qu'il ne garderait rien dans son estomac. Marley grignota quelque chose et fit de nouveaux essais qui n'eurent pas le moindre succès. Elle battit finalement en retraite, ne souhaitant guère le brusquer puis ils se couchèrent tout deux, en silence. Pour la première fois, Duncan avait sembler avoir perdu l'usage de la parole. Cette nuit là, quand il put sentir Marley faiblir et s'enfoncer dans le sommeil, il s'autorisa à nouveau quelques larmes salées.

A la suite de cela, Duncan se laissa aller, doucement, jusqu'à s'enfoncer dans sa douleur, sa tristesse, son désespoir. Il commença rapidement à noyer son chagrin dans l'alcool. Il enfonçait sous tant de noirceur toute cette douleur refoulée pour qu'elle évite de le bouffer, de prendre tout ce qu'il restait en lui, sans jamais réaliser que sa méthode était la meilleure moyen pour lui de se détruire. Il commença a passer ses nuits dans des bars en compagnie de filles aux vies tout aussi difficiles et dont la débauche semblait être le seul moyen trouvé pour se lever le matin. Il se trouvait des points communs avec elle. Toutes ces peines trouvèrent leurs semblables et il commença a tromper Marley. Des caresses, tout d'abord, puis des tripotages. Mais il ne s'arrêta guère à toutes ses tromperies. Duncan avait toujours été un gamin bagarreur, cependant il avait toujours plus ou moins réussi à se contenir même si l'envie ne lui manquait souvent pas de se laisser aller. Cette fois, ci toutes ses résistances avaient faiblies et il ne se trouva plus le coeur de lutter contre ses instincts. Il commença à se bagarrer en pleines nuits avec des gens peu recommandables qu'il n'aurait jamais été amené à fréquenter si il n'avait guère perdu ses géniteurs, ses vestiges de son enfance. Il rentrait le visage en sang, des blessures couvrant les traits fins de sa silhouette. Marley ne le lâchait pas pour autant. Elle attendait, tout les soirs, qu'il finisse par rentrer à des heures impossibles dans des états calamiteux. Elle ne s'autorisait le sommeil que quand elle le savait propre, en bonne santé et lui même endormi. Elle prenait soin de lui par amour, tolérant tout de sa part, acceptant sa souffrance et sa façon de gâcher sa vie. Puis un jour, une goutte d'eau fit déborder le vase fragile mais soudé par les sentiments de Marley qu'était devenue leur relation. La jeune femme tomba enceinte et Duncan s'emporta, s'abandonnant une énième fois à sa colère. Car il ne pouvait pas supporter la perspective même d'avoir un gamin à venir. Ce soir-là, Marley partit.

Marley était l'unique chose qui ramenait Duncan a un passé plus heureux, plus réjouissant que son présent. En la perdant, c'est tout qu'il perdit. Il n'avait plus rien. Il rentrait à des heures plus impossibles que jamais et s'endormait parfois à même le sol, baignant dans des flaques de vomis, quand il ne s'effondrait pas en pleine ville. Un jour, il se décida qu'il était impossible de le laisser continuer ainsi. Un membre de sa famille eu écho de tout ça, la même tante dont la vue l'avait bouleversé alors que tout petit il assistait à l'enterrement de sa maman. Elle dut en venir à le forcer à fréquenter un médecin. Ce fut de très mauvaise foi que Duncan dut obéir. Ces rendez-vous détestables pour lui au début, se révélèrent bien vite être le seul moyen pour sortir le bec de l'eau. L'homme lui fit comprendre que sa vie n'était pas facile et qu'il ne faisait que se blesser davantage. Qu'effacer sa douleur ainsi ne résoudrait jamais rien, qu'elle serait toujours là en lui. Qu'il ne pouvait plus que l'accepter. Qu'il devait réagir si il ne voulait pas continuer à perdre ainsi, chaque jour davantage. C'est ce que Duncan fit. Doucement mais sûrement, il cessa de dépendre du contenu de ses bouteilles et de toutes ses canettes de bière qu'il avait prit l'habitude d'enchaîner. Il décrocha même de sa vieille addiction à la cigarette, qui remontait pourtant à son adolescence quand son père était toujours là pour lui, l'empêchant de sombrer dans sa douleur et sa détresse. Il commença a se reconstruire et a revivre.

Duncan n'a jamais put se résoudre à laisser sa douleur derrière lui, et pourtant depuis quelques mois, il apprend doucement à la laisser derrière lui pour parvenir a avancer. Il ne s'est guère laissé allé au fait d'exercer à un métier, bien que cela soit ce à quoi il aspire pour le futur. A vingt-six ans, il vit sur l'héritage que son père lui a laissé. Il fera un jour quelque de sa vie, quelque chose qui aurait put rendre ses parents fiers. Il ne rentre désormais plus en pleine nuit, le visage couvert de blessures et en trébuchant comme un enfant apprenant difficilement a marcher. Aujourd'hui, il aspire surtout à réparer ses erreurs et la plus belle demeure la façon dont les choses se sont terminées avec Marley. Il est conscient d'avoir perdu une femme qui l'a aimé suffisamment pour supporter toutes ces soirées détestables, pensant ses plaies et le berçant jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir après une soirée éprouvante pour tous deux. Il regrette tout ce qu'il lui a fait endurer. Il est cependant conscient qu'un retour dans le passé n'est guère envisageable. Il se pose des dizaines de questions. Il se demande si elle a garder le bébé et si quelque part grandit son fils ou sa fille. Il se demande ce qu'elle peut bien penser de lui aujourd'hui et si elle a définitivement cesser de l'aimer.