« Je ne vois vraiment pas ce que je fais là. C'est pas genre, les psychopathes, qui viennent vous voir ? » « Je suis psychologue Rhys. Pas psychiatre. » « De toute façon, c'est pas comme si ça changeait quelque chose. Je n'ai aucunes raisons d'être ici. » Un long silence passa durant lequel tu entrepris de gratter, jusqu'au sang, les cuticules de tes ongles, un moyen comme un autre de retenir le flot de paroles qui voulait sortir de ton coeur. « Bon, d'accord, peut-être que j'ai tendance à chercher les ennuis. Mais ça s'arrête là, et ce n'est pas le reflet d'angoisses passées ou je ne sais pas quoi. » Le psychologue n'ajouta rien, encore une fois. Il attendait visiblement de toi que tu te dévoiles, que tu trouves toi même-moi les causes de ton comportement récent. Mais tu n'étais pas décidé à lui donner ce qu'il voulait. Après tout, ce qui se passait en toi ne concernait aucune autre personne que toi, justement. Personne n'avait besoin de savoir que tu étais malheureux comme les pierres, que ton monde était tombé en morceaux. Tes mains commençaient à trembler, signe de ton anxiété. Malgré ce que tu prétendais, tu étais loin d'être ce bloc de glace impassible et blasé. Bien au contraire, tout bouillonnait constamment à l'intérieur de toi. Mais c'est le commun de tout les jeunes, paraît-il, un petit cadeau de Mère Nature, pour bien commencer l'aventure de la vie. Ressentir de façon violente et intense n'importe quel sentiment, même le plus anodin. Faire qu'un simple accroc amène à une bagarre, un sourire d'une jolie fille à une jalousie violente à son égard, une déception à une crise de larmes sans fin. « Et peut-être que j'ai quelques problèmes familiaux, mais qui n'en a pas, après tout ? » « Donc tout va bien, dans ce cas ? Rien de spécial à signaler ? » Tu serras les poings en te mordant l'intérieur de la joue. Parler, c'était rendre les choses réelles, les rappeler à ta mémoire, et la seule chose que tu voulais, désormais, c'était oublier. « Rien du tout, fis-tu, la voix tremblotante. » Le psychologue haussa un sourcil, perplexe. « Et bien, Rhys, je ne comprends pas vraiment comment vous avez réussit à vous forger une réputation d'habile menteur. Je n'ai pas besoin de vous entendre parler pour connaître votre état d'esprit. Vos yeux parlent pour vous, vous savez. Et ce qu'ils disent sont en total contradiction avec le flot de mensonges qui sort de votre bouche. » Tu haussas les épaules. Qu'aurais-tu pu rétorquer à cela, de toute façon ? Ce n'était pas comme si le docteur Pierce était dans le faux le plus total. Il avait vu juste, avait su appuyer là où ça faisait mal. Tu baissas la tête, sentant tes canaux lacrymaux entrer en action. Tu t'obligeas à respirer profondément, cherchant à calmer le rythme devenu infernal de ton coeur. « L'année passée … »

Tes souvenirs te ramenèrent douze mois plus tôt, alors que ta vie semblait atteindre un point de bonheur inconnu jusque-là. Tu avais été diplômé avec succès du prestigieux lycée dans lequel tu étudiais, la fac de tes rêves t'ouvrait ses bras, tu roulais en Porsche récemment offerte pour fêter ton succès, tu avais mené ton équipe de football américain à la victoire, ta petite-amie était la fille la plus parfaite au monde et tu avais trouvé en tes amis une deuxième et merveilleuse famille. Rien ne laissait prévoir ce qui allait se passer : l'éclatement de ta petite bulle dorée. Tu avais été trop naïf, trop gentil, trop conciliant. C'était définitivement à partir de ce jour que tu étais devenu un autre garçon, quelqu'un de méfiant, de froid et de renfermé qui ne se liait plus à personne. Tu te rappelais avec une surprenant exactitude le moment qui avait marqué un tournant dans ta vie. Alors que tu revenais de ton jogging quotidien, tu avais aperçu la voiture de Kayla dans l'allée. Bien entendu, tu avais été plutôt surpris. Ne t'avait-elle pas assuré, la veille même, être occupée toute la journée par un important devoir de pré-rentrée à Harvard ? Un grand sourire d'idiot guimauvé s'était étalé sur ton visage. Elle te préparait une surprise, c'était certain. Après tout, pour quelles autres raisons se serait-elle trouvé chez toi, alors que tu n'y était pas ? Kayla et toi étiez ensemble depuis trois ans, ou une éternité. Depuis l'arrivée de la jeune fille à Miami, quatre ans plus tôt, vous ne vous étiez jamais quittés. Jusqu'à l'accomplissement de ce qui semblait inévitable. Vous étiez devenu un couple, un 'nous' qui faisait soupirer vos amis et sourire vos parents. Gentille, drôle, douce et attentionnée, voilà quelques mots qui auraient pu décrire la jeune brune qui répondait en tout points aux attentes de la famille Fenwiks. Tout le monde autour de toi l'adorait. Excepté tes amis. Tu ne comprenais pas vraiment pourquoi, ils refusaient même d'éclaircir ce point. Tout ce que tu savais, c'est ce qu'ils ne cessaient de te répéter : C'est pas une fille pour toi Rhys, tu verras, elle te jouera des tours. Les filles comme Kayla, ce sont celles qui présentes bien, à qui tu donnerais le bon Dieu sans confession, alors qu'au fond, elles ne sont pas du tout comme ça. Tu devrais te méfier. Tu aurais dû les écouter. Lors que tu pénétrais dans la maison, ce fût les regards surpris de ses parents qui se posèrent sur toi. Ils se levèrent d'ailleurs précipitamment en bégayant des choses inaudibles. Tu t'étais avancé, perplexe, les sourcils froncés. C'est alors que tu les avais vu. Ils étaient tranquillement assis sur le canapé, leurs doigts entrelacés et des sourires d'idiots amoureux plaqués sur le visage. Tu aurais su les reconnaître en tous, toi-même, tu l'arborais tout le temps. Ton visage s'était figé de stupeur, d'incompréhension. De douleur. Tu avais ouvert la bouche, mais aucun son n'en était sorti. C'était elle qui, la première, avait parlé. « Rhys, on allait te le dire … »

« Et alors, qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? » « Ensuite ? Vous voulez dire, après que j'ai appris que ma petite-amie et mon frère sortaient ensemble dans mon dos, qu'ils s'étaient même fiancés, et que tout le monde excepté moi était au courant ? Après que j'ai découvert que tout le monde savait, mais que personne ne m'avait rien dit ? Après que j'ai compris que tout ceux à quoi je m'accrochais venait de m'éclater entre les mains ? » Le psychologue hocha la tête. « Je suis parti. J'ai fait mes valises, sans vraiment réfléchir à ce que j'allais faire. J'ai sillonné les routes, jusqu'à atterrir à San Francisco. » « Et votre famille, Kayla, et vos amis ? » « Ils n'existent plus. J'ai arrêté d'adresser la parole à tout ces menteurs, ces hypocrites. Mes parents continuent à m'entretenir parce qu'ils se sentent coupables, mais ça s'arrête là. Je suis seul, désormais. » Ce n'était pas tout à fait la vérité, mais dit ainsi, l'effet était bien plus dramatique. « Et vous n'avez rencontré personne ? Aucunes filles, je veux dire. » « L'amour, c'est terminé pour moi. J'ai décidé que je ne me caserais que lorsque je serais vieux et riche, et que les femmes ne seront plus intéressées que par mon argent. »


« Rappelle moi pourquoi je dois faire ça ? » « Parce que t'as perdu, mon vieux. Alors tu vas t'inscrire sur ce site de gonzesse, et tu vas élargir ton tableau de chasse. Après tout, les filles qui sont là-dessus doivent être sacrément désespérées. » « Tu vas pouvoir avoir ta chance mon gars ! » « Haha. Faites-moi penser à ne plus parier avec vous sur le nombre de parts de pizzas que je suis capable d'ingérer en dix minutes. » « Tiens, clique sur elle, la rousse là, elle est plutôt mignonne. » « Finalement, elles sont peut-être pas toutes moches. » « Je vous déteste. » Ils avaient raison, la fille était des plus jolies. Enfin, sur sa photo de profil. Ce fût un petit sourire que tu cliquas sur 'aimer son profil'. Qu'est-ce que tu risquais de toute façon ? De tomber amoureux ?