quatorze décembre 1995. « Dadaaa, dadaaaa, bubulle l'bouge plus encooore ! » je tapotais du doigt le poisson rouge qui s'était étendu, ventre en l'air, à la surface de son bocal. J'avais seulement cinq ans à l'époque, et pourtant j'étais déjà un serial killer de poissons rouges. Ce Bubulle là devait être le numéro 32 sur la liste, j'vous raconte même pas le carnage. Quand je monterai au paradis, soyez sûrs que y'aura une armée de poissons, chats et autres hamsters pour me faire la peau en mode vendetta du siècle.. Si j'vais pas en enfer, of course, ce qui m'étonnerait qu'à moitié. Bref. Vu que j'étais gosse, donc naïf, trop sensible et tout c'que tu veux, mon menton commençait à trembler méchamment, on allait pas tarder à arriver au tsunami des pleurs. Mon père accourut en mode Batman même si il avait ni le look ni les muscles pour. Il regarda un instant mon poisson mort avec une moue embêtée, puis moi je croyais qu'il faisait la sieste Bubulle, ben ouais à cinq piges on capte rien à la vie. « Trésor, je crois que... Que Bubulle est allé au paradis des poissons. » Puis il m'a tapoté la tête d'un air compatissant et a haussé les épaules. « On t'en rachètera un autre. Bon, le devoir m'appelle, à ce soir bonhomme. Tu appelles Maria si tu as besoin d'aide ! » et il repartit aussi vite qu'il était venu. C'était comme ça depuis toujours, c'est toujours comme ça. Mes parents n'ont jamais été très présents pour moi, même si je sais qu'ils m'aimaient, qu'ils m'aiment toujours. De toute façon, je n'étais jamais seul, jamais bien longtemps. Une seconde après que mon père soit parti, laissant la maison vide sauf du vrombissement lointain de Maria qui passait l'aspirateur dans une chambre, la porte sonna. Je n'étais pas autorisé à ouvrir la porte, sauf si j'attendais quelqu'un, et j'attendais quelqu'un. « DYDYYYYY ! » « DADAAAAM ! » l'instant d'après, mon meilleur ami m'ébouriffait les cheveux. Ouaip, depuis toujours, les gens avaient cette putain de manie de m'ébouriffer les cheveux, comme si si ils les touchaient, ça allait leur donner des pouvoirs magiques. Moi j'avais déjà le pouvoir magique d'être super con.

huit septembre 2011. « Vous, Mr. Robertson, vous ferez équipe avec... Miss Bowmann. » Euh, pardon ? Mes yeux s'ouvrirent, grands comme des soucoupes. Nos réactions ne se firent pas attendre, car un instant après que le professeur de danse annonçait les binômes, nous protestions tous deux au même moment. « LUI ? » « ELLE ? » Les autres se tournaient vers leur partenaire tandis que le prof nous tournait le dos pour je ne savais consulter quel papier à la con. « C'est pas juste. Pourquoi les autres ils ont des belles filles en partenaires, et pas moi ? » un sourire angélique apparut sur mon visage alors qu'Eleanor me fusillait du regard, en mode violent. J'agrandis mon sourire et lui envoyai un baiser. Elle soupira. Bien entendu, je ne pensais pas un traître mot de ma dernière phrase. Eleanor était une chieuse. Mais elle était jolie, très jolie même. Pour autant, j'étais loin de la considérer comme une cible. Non, pas elle. Dès le début, nos relations n'avaient été que lançages de piques. C'était tout de même pas ma faute si elle avait failli me tuer en me bousculant avec son sac, à l'entrée du cours de danse. Mais non, mademoiselle ne s'est pas excusée. Elle était chiante, elle voulait toujours que tout soit parfait, elle avait trop de répartie et elle était sûre d'elle, en plus... En fait, elle me ressemblait, et c'était bien ça qui devait nous agacer tous les deux. On était si différents et si similaires à la fois. Je voyais que la brune était désormais en plein conversation avec le prof, et je me suis rapproché. « Bon, Eleanor, il y a une raison pour que vous deux soyez en binôme. » Elle me regarda. Je la regardai. Elle me regarda. Je regardai le prof. Qui nous regardait. Duh. « Euh, hein ? » Oui j'étais très expressif quand je m'y mettais. Le prof soupira, et posa sa main gauche sur l'épaule d'Eleanor, sa main droite sur mon épaule à moi. « Vous êtes complémentaires, les enfants. Ne voyez-vous pas ? Vous allez faire des étincelles, tous les deux. » Elle haussa un sourcil. je devais avoir le même air. Puis, le prof nous tourna le dos, nous faisant signe de dégager d'un geste de la main. « Et puis vous n'avez pas le choix. » Dépités, on a eu qu'à se casser vite fait. Elle rongeait l'ongle de son index, et moi je gardais le silence, un peu gêné. Bon, ça devait être à moi de me faire pardonner pour tout à l'heure, enfin peut être. « Euh, t'sais, pour tout à l'heure, j'le pensais pas hein... » Elle leva la tête, et un sourire perça sur son visage. Un sourire dubitatif, méfiant. Mais un sourire quand même. « C'est vrai c'mensonge ? » Adoptant mon éternel air de gamin innocent, je déclarai d'une voix amusée : « Ben, oui. T'es pas moche. T'as juste pas un physique facile, t'y peux rien ma chérie. » ET BAM. Oui bon je suis pas méchant, faut pas croire. Mais j'aimais déjà faire chier cette fille, c'était plus fort que moi. « T'es qu'un abruti ! » et elle me tapa avec le classeur qu'elle tenait à la main, avant de partir d'un pas décidé. « A la semaine prochaine, princesse ! » Ai-je répondu en me retenant de rire. Bon, ben j'avais qu'un truc à dire : ça promettait.

vingt-deux mai 2011. « BAM BAM BAM ET JE TE NIIIIIQUE. » Dylan aimait bien hurler quand il me battait à une partie de Mario Kart. Hystérique ? A peine. « Roh, ça va toi hein. » Je levais les yeux au ciel. Il commençait à danser autour de moi en mode indien, mais wtf ce mec, je savais pas comment je faisais pour le supporter toujours au bout de 17 ans que je le connaissais. Fallait vraiment que je l'aime. Je me suis écroulé sur la moquette de ma chambre, impeccable comme toujours. Dylan finit par s'asseoir sur mon ventre, non mais normal quoi. « Epp', t'sais pas quoi ? » j'allais presque me relever, si un mec de 90 kilos (de graisse huhu pas taper) était pas en train de m'étouffer avec son gros cul. « Hun ? » Il avait son sourire de sadique, ouuuh j'aimais pas ça, pas ça du tout. « Y'a un nouveau site de rencontres j'ai entendu parler. Style, tu cliques, tu niques, t'vois le truc ? » J'ai haussé un sourcil, euh, mais wtf. « On dirait j'suis désespéré. » Non mais merde à la dernière soirée j'avais quand même ramené une meuf. Comment elle s'appelait déjà ? Sam ? Ou Beth ? Un truc du genre, un truc court, comme ses cheveux, et direct, comme la manière qu'elle avait eue d'me draguer. Bof anyway j'comptais pas la rappeler. Pas mon genre de meuf. « J'pense pas, t'as ce pouvoir des cheveux qui font qu'elles veulent toutes ton corps. N'empêche que, j'te parie c'que tu veux que t'es pas capable de t'inscrire. » Ouh. J'étais foutu. Quand on me lance un défi, j'suis obligé de le relever. Ce que je déteste par dessus tout, c'est perdre. C'est plus fort que moi, faut que j'aie tout dans la vie, comme j'ai toujours eu, faut pas qu'on me résiste, je dois avoir le dernier mot sur tout.. Pour résumer, j'suis chiant. Mais j'me soigne (pas). « Genre tu paries avec moi. GENRE TU PARIES. Bon ok, j'le fais ton truc à la con. » il s'est levé de moi derechef et m'a désigné le bureau à côté de mon lit où trônait mon mac, avec une révérence en sus. Mon meilleur ami est un alien. Bref, après protestations, facepalms et autres hurlements de rire... j'avais un profil sur www.jecherchequelquun.com. Mon dieu que j'étais un cassos. « Bon, maintenant tu m'payes une bouffe. » Il leva les yeux au ciel, l'air dépité (il devait pas avoir de sous sur lui, pour changer). « Putain j'pensais pas que tu en serais capable. » Un rictus satisfait apparut sur mes lèvres. J'suis capable de tout, moi, faut pas croire. « Ne jamais défier le maître. » et j'embrassai la joue de mon meilleur ami avant de reprendre la manette de la wii, histoire de lui foutre une bonne branlée à mario kart, nan mais ho.

trente mars 2012. Un regard échangé, un signe de tête. Pas besoin de mots, mais je préférais être sûr. « C'est parti. » ai-je donc lancé à Eleanor. Posant ma main sur sa taille, comme d'habitude, nous nous lancions sur la piste. Le prof avait eu raison. Nous étions les étincelles qui faisaient s'embraser le public, public que nous n'avions pas ce soir, ce n'était qu'une répétition. Jamais je ne me serai attendu à ce que nous dansions aussi bien ensemble, elle qui ne m’apparaissait que comme une chieuse à première vue... C'est vrai que la danse nous avait rapprochés. J'vous vois venir... Je ne suis pas... amou..reux... Non. Enfin j'sais pas trop. J'sais pas trop pourquoi mon coeur bat un peu plus fort quand je la vois, ni pourquoi j'ai l'impression de recevoir un millier de petites décharges électriques quand je la touche. J'sais pas non plus pourquoi je ne me lasse jamais d'entendre son rire, ou pourquoi je me sens subitement heureux lorsqu'elle me sourit, ce qui est de moins en moins rare au fil du temps. Mais euh, j'suis pas amoureux. C'est juste bizarre, ok ? Au fil de la chorégraphie, nous dansions de mieux en mieux, portés par la musique, en pure harmonie. Il y avait cette alchimie entre nos deux corps, cette osmose qui nous guidait. Comme toujours depuis un peu moins de deux ans. La mélodie cessa, nous aussi. Nos visages seulement à quelques centimètres l'un de l'autre. « C'était pas trop mal, Robertson. » sa voix ne comportait aucune amertume, juste la pointe de taquinerie qui, après tout, était un peu la base de notre relation. Je soufflai un rire, avant de la lâcher. Ben quoi, on avait fini de danser, j'allais pas non plus la prendre dans mes bras.. Enfin c'était pas l'envie qui manquait, remarquez HUM Ta gueule Adam. Le professeur nous applaudissait, et leva son pouce en l'air. « Vous voyez que vous faites des merveilles, les tourtereaux. » Encore une fois, elle leva les yeux au ciel en même temps que moi, souriant. Le prof aimait bien nous appeler comme ça. Allez chercher pourquoi, car on était tout sauf des tourtereaux. 'Fin bon, des fois faut pas chercher. Bref. Quelques dizaines de minutes plus tard, je sortais des vestiaires, forever alone dans le studio qui était déjà tout éteint. Ah ok, j'étais le dernier à partir, pour changer. C'est ça l'truc quand on a des cheveux aussi épiques que les miens, on met tellement de temps pour qu'ils ressemblent à quelque chose que les gens en ont marre et se cassent. Mais bon, tant pis. Alors que j'allais passer la porte d'entrée, une idée me traversa l'esprit et je changeai de direction. L'escalier de service menant au toit m'attendait, comme d'habitude. C'était un peu le coin où j'allais après les cours, pour fumer ma clope ou juste pour être un peu seul avec mes pensées. Ouais on dirait pas comme ça, mais j'pense beaucoup. Trop peut être, parfois. Bref. Cette fois, je vis immédiatement en arrivant sur le toit que je n'étais pas seul. Eleanor regardait devant elle, de dos. Ouuuh, tant mieux, j'avais pas fait le con de trop aujourd'hui, c'était le moment de se rattraper. Le toit était une sorte de terrasse, juste au dessus du studio, avec quelques plantes en pot dessus. Rien de spécial à première vue. Mais j'aimais m'asseoir sur le bord, les pieds dans le vide, et regarder les gens passer en bas, petits comme des fourmis. Bref, je me suis approché, jusqu'à me mettre juste derrière Eleanor, discrètement (je suis un ninjaaa). Et là, j'ai hurlé, juste dans son oreille. « BOUH ! » « AAAAAAAH ! » Elle a sursauté, vacillant de côté. Et comme on était presque au bord du vide (ouais le toit il est koule mais pas trop sécure comme truc), elle a vacillé, perdant l'équilibre. OUH MERDE. Mes réflexes parlant à ma place, je saisis sa main fermement, l'empêchant du coup de tomber dans le vide et de mourir. Ouais, vive moi hein. « Imagine je lâche. » j'ai pas pu m'empêcher de sortir cette phrase alors qu'elle était toujours en train de retrouver l'équilibre, sur le bord du bâtiment. « Me lâche même pas, Robertson ! » un accent de panique s'entendait dans la voix de la belle brune, et je la comprenais. Mais j'avais décidé d'être chiant. « Tu me donnes quoi en échange de mon aide, chérie ? » un air angélique illuminait mon visage à nouveau, alors que je demeurai le seul lien qui la rattachait encore au bâtiment vacillant sous ses pieds. « Allez, à la une... » elle me coupa d'un ton ferme. « Fais ça, et j'te tue. » elle jeta un coup d'oeil en bas, pas rassurée. De toute façon j'avais pas l'intention de la lâcher, plutôt mourir ouais ! « Ou si je meurs en tombant, je revis en fantôme et j'te hante jusqu'à la fin de ta vie. » je soufflai un rire, la tirant vers moi. Voilàààà, plus de peur que de mal, pas de casse. Elle se cogna à mon torse et faillit tomber une nouvelle fois, mais par terre cette fois, c'était moins grave, cette fois ci elle n'eut pas besoin de moi pour retrouver l'équilibre. « J'te laisse pas tomber, part'naire. Promis. » Non, jamais. Et elle me sourit, et encore une fois mon coeur manqua un battement. Putain. Mais wtf quoi.

vingt septembre 2012. « Don't you remember all the thing we said, all the thing we had that stay inside my head... » Ma montre sonna en plein milieu de la chanson. 16h. Merde. « LES MECS JE DOIS GO ! » Austin et Dylan tournèrent la tête vers moi, en mode bitch please. BITCH PLEASE. Ils faisaient très bien la tête de bitch please. « Genre, maintenant là tout de suite. » ai-je insisté parce qu'ils avaient pas l'air de comprendre. Mes potes étaient deux de tens' des fois. « T'es sérieux dans ton délire ? » me demanda Dylan, blasé. Je haussai les épaules et leur adressait un sourire désolé. « J'ai promis. » « Promis qu.. OOOOH. T'as encore rendez vous avec ta chérie qui existe pas, c'est ça ? » me demanda Austin sur un ton amusé, mais jamais méchant, comme c'était son habitude. « Quoi ? Nonmaispadutout. Et puis ça vous regarde pas, d'ailleurs. » Je baissai la tête, prenant mes baguettes de batterie, mon sac, me levant. Dylan lâcha le micro, Austin posa sa guitare, ils se regardèrent et éclatèrent de rire. « Il est amoureuuuuuuuux ! » lâcha Dylan avant de m'attraper une joue comme mémé Suzanne. « C'est mignon tout plein. » dit Austin en hochant la tête, papillonnant des yeux dans une expression niaise parfaitement maîtrisée. « Pff, deux ans que tu parles avec cette fille, et tu sais même pas son nom. Ni même si elle est bonne. Tu crains, mec. » m'a sorti Dylan avant que je lève les yeux au ciel. « C'est pas le plus important ça. On a beaucoup de points communs, et j'peux être moi même avec elle, elle a vachement de conversation, puis c'tout puis laissez moi tranquille voilà ! » je commençais à bafouiller. En plus je parlais comme une vieille niaise toute droit sortie d'un film cucul que je détestais, bonjour l'angoisse. « AAAAAIMEEEEEER... » commença à chanter Austin. « C'EST C'QU'IL Y A D'PLUS BEAAAAAAAAAU ! » continua Dylan. Je levai les yeux au ciel, et quittai le garage de chez Dylan en entendant les chants et les rires de mes deux meilleurs potes derrière moi. Oui ben oui, j'avais effectivement trouvé quelqu'un. Sur je recherche quelqu'un quoi. Elle s'appelait sweet destiny, je connais pas son nom. Je sais juste qu'elle va à la fac avec moi. Mais bon, les relations internet c'pas trop mon truc. Après, on a des discussions géniales ensemble. Ça fait plus ou moins deux ans, maintenant, que je parle avec elle tous les jours. Et ce jour là, je lui avais promis de me connecter à 16h30. Et je me sentais mal si je parlais pas au moins une fois par jour avec elle. C'est étrange comme toute cette histoire de site avait commencé comme une blague, et BAM j'suis devenu accro à une personne. Pas bon ça, pas bon du tout... Oh et puis tant pis. C'est donc avec un sourire permanent aux lèvres que, une fois rentré chez moi, je tapais les mots "Salut ma belle." sur le clavier de mon ordinateur, avant d'envoyer le message à sweet destiny. Qui qu'elle soit.