we tore up the walls, we slept on couches.

Réajustant son rétroviseur, Sloane jette un regard à son apparence. Ses cheveux blonds récemment coupés sont lisses et ne laissent pas présager qu’il y a quelques années de cela, elle les portait longs et en bataille. Ses yeux ne portent plus la même innocence, et son sourire paraît bien moins naturel. Elle est le portrait même de l’anxiété. Elle alterne entre se mordre la lèvre et se ronger les ongles, une ancienne habitude qu’elle avait pourtant réussi à effacer. Tant pis si son vernis à ongles rouge vermeille était bousillée quand elle se déciderait enfin à sortir de la voiture. Elle se maudissait pour avoir eu cette idée stupide. Quel genre de personne reprenait contact après des années d’absence en se faisant passer pour une autre sur un site de rencontre? Il n’y avait qu’elle, sa curiosité malsaine et ses sentiments irrésolus pour faire une chose pareille. Elle laissait échapper un soupir retenu depuis un peu trop longtemps. Son détraqué d’ex lui avait causé des centaines de crises d’angoisses ces dernières années et pourtant, elle ne pouvait les assimiler à ce qu’elle ressentait actuellement. Ses mains, son ventre, sa gorge… tout était noué et elle ne l’avait même pas encore croisé. L’exaltation qui l’avait animé quand elle avait crée son faux profil sur ce site était bien loin derrière elle. Elle avait profité de l’absence de son compagnon pour passer des heures à la retrouver, à dévisager sa photo, analyser le peu qu’elle avait écrit d’elle et surtout à trouver un moyen de l’aborder. Par chance, la conversation s’était faite naturellement et le rendez-vous pris dès la fin de celle-ci. Elle avait presque oublié l’aisance qu’avait la brune quand il s’agissait de séduction. La blonde avait coché la case bisexuelle et pour la première fois, elle pouvait en agir librement. C’était tellement plus simple de le faire derrière une autre identité mais surtout avec elle. La brune avait été la seule pour qui elle avait éprouvé de l’attirance. Jamais elle n’avait retrouvé quelque chose de semblable avec une autre. Peut-être était-ce dû à leur histoire, à leur complicité, à la facilité qu’elle avait à se mettre à nu devant elle. Elle avait toujours eu cette impression de ne rien avoir à lui cacher…

S’extirpant enfin de sa petite voiture, Sloane rejoignait la patinoire. Un lieu insolite pour un premier rendez-vous et loin des usuels bars ou cafés, mais elle n’en attendait pas moins d’Aiyana. En un instant, elle entrait à l’intérieur du complexe sportif qu’elle connaissait pour y avoir amené ses élèves l’an passé. Ses pas la menaient à l’endroit précisé et tandis qu’elle se débarrassait de ses chaussures pour les troquer contre des patins, ses yeux repéraient son ex-meilleure amie, déjà sur la glace. La blonde avait encore du mal à assimiler qu’elle se trouvait là, à quelques mètres. Il suffirait juste qu’elle tourne la tête pour que son regard croise le sien. Elle avait tenté de réfléchir le moins possible à leur rencontre, sachant qu’elle trouverait des milliers de raisons de ne pas s’y rendre et d’agir lâchement une nouvelle fois. Elle ignorait comment elle réagirait, elle croirait probablement que le hasard l’avait mené jusqu’à elle. Peut-être qu’elle lui en voudrait d’avoir manigancé ainsi leurs retrouvailles. Sloane la contemplait de loin laisser échapper un soupir, l’air exaspérée tandis que ses doigts glissent sur l’écran de son téléphone portable. Au bout de quelques secondes, celui de la blonde vibrait dans sa poche. Elle le prenait entre ses mains et ouvrait hâtivement le site sur lequel elle s’était crée le pseudo de blondie, pour y voir un message de pumkin-donut. Elle avait du retard pour leur pseudo rendez-vous, et la brune ne manquait pas de lui faire savoir. Prenant une dernière longue respiration, elle se redressait et rejoignait la glace. Elle avait choisi l’entrée la plus proche de la brune et se trouvait désormais à deux pas d’elle ou plutôt de son dos. Non seulement ses jambes n’étaient pas les plus stables à l’idée de cette rencontre, mais en plus elle était vraiment très peu douée pour les sports de glisse ou plus généralement tout ce qui concernait l’équilibre. Elle aurait du annuler, ou proposer un lieu dans lequel elle se sentait plus à son aise… Elle trimballait sa paire de gants dans une de ses mains et profita de son autre main libre pour la poser une fraction de secondes sur son épaule histoire de lui signaler sa présence. Même à travers l’épaisseur du vêtement qu’elle portait, elle avait l’impression d’avoir été brûlé au troisième degré. Un comble pour l’endroit glacial dans lequel elles se trouvaient. « Ana.. » A peine le mot était sorti de ses lèvres qu’elle se maudissait intérieurement de l’avoir choisi. Elle était une des seules personnes à l’appeler de la sorte, avec Jace... Au diable les précautions, après tout il était trop tard pour reculer.

« Une entrée s'il vous plait. » Avais-je demandé à l'accueil, passant rapidement une main dans mes longs cheveux bruns, un large sourire dessiné sur mes lèvres de poupée. J'allais bientôt retrouver une jeune femme avec qui j'avais échangé quelques mots sur jecherchequelqu'un.com, un site de rencontres sur lequel je m'étais inscrite et en qui j'avais fondé quelques espoirs, dans l'idée de faire connaissance avec quelques personnes du coin. Quoi qu'il en soit, blondie - tel était son pseudo - m'avait parut plutôt sympathique et semblait surtout mignonne. Il faut dire que sa belle chevelure blonde disciplinée m'avait attiré l’œil. Je devais également avouer que la case bisexuelle cochée sur son profil avait attisé ma curiosité et rempli cette rencontre de possibilités. Je me sentais prête à rencontrer quelqu'un et la perspective de rencontrer une jolie blonde n'était pas sans me déplaire. Nous avions rapidement émis l'idée de nous voir et j'avais immédiatement proposé l'idée de le faire à la patinoire. J'adorais la patinoire. Et puis, il faut bien l'avouer, la patinoire est propice aux rapprochements, qu'ils soient physiques ou émotionnels. C'est donc sciemment que je lui ai donné rendez-vous au milieu de la piste. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre mais je me trouvais étrangement nerveuse à l'idée de voir quelqu'un que je n'avais finalement jamais vu et dont l'unique photo ne m'avait pas permis d'entrevoir suffisamment le visage de la demoiselle pour la reconnaître clairement si je la voyais, je comptais donc sur elle pour me retrouver.

J'attirais rapidement le regard de quelques garçons qui patinaient non loin de moi et leur adressais un petit signe de la main, amical mais bref afin de leur signifier que j'attendais quelqu'un. D'ordinaire, j'aurais mis les pieds dans le plat en leur fonçant dessus, m'incrustant dans leur joyeuse bande mais cet après midi était dédiée à quelqu'un d'autre. Soudain, alors que je m'échauffais sur la piste, me venait une frayeur, et si la jeune femme avait volontairement caché son visage car elle était laide ? Superficielle, je l'admets, cette idée m'angoissa quelques secondes avant que je reprenne mes esprits. Après tout, ce n'était pas un rencard, il fallait remettre les choses dans leur contexte. C'était une rencontre amicale... bien qu'ayant des idées derrière la tête, je devais reconnaître m'être emballée un peu vite. Peut être ne cherchait elle que des amis, après tout, n'était-ce pas mon cas, en vérité ? Je doutais de pouvoir un jour rencontrer l'âme sœur sur un site de rencontres, peut-être un coup d'un soir, qui sait...
Plus les minutes passaient et plus je me faisais des films, me torturant l'esprit. Sortant mon blackberry de l'une de mes poches, je regardais l'heure et décidais d'envoyer un message à blondie afin de m'assurer qu'elle ne me poserait pas de lapin alors qu'elle n'avait que quelques minutes de retard.

Alors que j'imaginais le visage que pouvait avoir mon interlocutrice, rêvant de beaux yeux bleus, je sentis une main se poser sur mon épaule et esquissais rapidement un sourire. Pourvu que ce soit elle, pensais-je, me décidant finalement à tourner le buste pour dévisager la personne à qui appartenait cette main. Quelque fut ma stupeur lorsque je découvris le visage de cette fameuse personne et cette voix si innocente qui semblait regretter, à peine après avoir prononcé mon nom, mon surnom, d'avoir émis quelque son. « Qu'est-ce que... » Entrouvrant les lèvres sans trop savoir quoi dire, je dévisageais la jeune femme avec surprise, nulle animosité dans le regard, seul de l'étonnement, un étonnement franc et un regard un peu dérouté. Je ne pensais dès lors plus à mon rendez-vous et n'imaginais pas une seule seconde m'être faite piégée dans un scénario tordu. « Sloane ? » Demandais-je finalement, sachant pourtant pertinemment la réponse. J'étais déroutée. Je ne savais même plus quoi penser, ni quoi dire ou que faire. J'ignorais même si j'étais heureuse de la revoir. Tout ce que je ressentais c'était un battement de cœur, une pulsation accélérée qui me rappelait quelque chose...

« Qu’est-ce que… » Appuyée contre le rebord de la patinoire, Sloane observait la réaction d’Aiyana d’une proximité à laquelle elle n’était pas encore tout à fait habituée. La surprise se lisait avec justesse sur le visage de la brune et elle n’attendait rien d’autre de sa part pour ces premières retrouvailles. Il était tout bonnement impossible de ne pas être étonnée alors que la blonde débarquait à nouveau dans sa vie après plus de six ans d’absence, au détour d’un endroit improbable. « Sloane ? » Elle hochait bêtement la tête quelques secondes après que son prénom soit prononcé, comme si la personne en face d’elle – une des personnes qui la connaissait probablement le mieux sur terre – avait besoin d’une quelconque approbation. Ses yeux parcouraient les traits de son visage, comme si elle voulait mémoriser chaque parcelle, chaque expression. Elle avait changé. Au moins, un peu et c’était dans l’ordre des choses. Elles s’étaient quittées adolescentes et elles se retrouvaient désormais femmes. Elle avait encore du mal à imaginer qu’autant d’années les séparaient de leur dernière soirée. Elle se souvenait comme si c’était hier des bagages de la famille Sanchez entassés devant leur demeure. Des promesses qu’elles s’étaient faites, pour ensuite se rendre compte qu’elles étaient trop douloureuses à tenir. Que la personne qui les avait toujours liées ensemble les avait quittés pour de bon. Un court silence s’installait. Le temps probablement que l’une retrouve ses esprits et que l’autre prenne conscience de la réalisation de son plan. Elle savait qu’elle aurait du préparer quelque chose, quitte à ce que ce soient des phrases toutes faites. « Toi, sans voix. C’est une première… » Un léger sourire nerveux se dessinait sur ses lèvres. Le silence avait souvent été une source de malaise pour elle, et elle avait pris l’habitude de compter sur la brune pour combler même les moments les plus embarrassants. C’était une des choses qu’elle avait toujours aimé dans leur relation, cette manière d’être complémentaires sur à peu près tout. Et si leurs différences avaient été un obstacle au début, elles en avaient vite fait un atout.

« Qu’est-ce que tu deviens ? » La question était banale, voire trop compte tenu les circonstances. Elle avait envie de lui dire qu’elle lui avait terriblement manqué, qu’elles auraient pu faire leur deuil ensemble, qu’il aurait fallu un simple coup de fil pour qu’elle prenne le premier avion. Mais elle était déterminée à garder la tête froide pour au moins un moment, même si ses yeux la trahissait probablement. Le reste pourrait attendre. Et puis, elle avait réellement envie d’en savoir plus. C’était tout un pan de sa vie qu’elle avait raté, et pas des moindres. Une partie d’elle aurait voulu être là pour vivre avec elle les évènements importants de sa vie tandis qu’une autre lui affirmait que cela aurait été impossible. Elles avaient eu besoin de se construire chacune de leur côté, de mettre de côté leur passé pour avancer de plus belle… La brune ne s’était que très peu dévoilée sur le site, alors des dizaines de questions probablement trop intrusives grouillaient dans l’esprit de la blonde. Dans quoi travaillait-elle ? Que faisait-elle à San Francisco ? Quelqu’un partageait-il sa vie ? La jeune Hastings se décidait enfin à détacher ses yeux d’Aiyana pour observer les alentours. La patinoire se remplissait peu à peu en ce début d’après-midi, la plupart des personnes avoisinant leur âge. « Tu attendais quelqu’un peut-être ? » Elle reposait son regard sur le sien, décidée à garder une attitude décontractée alors que son cœur battait probablement plus rapidement que la moyenne et que ses phalanges tournaient au rouge à force de serrer le rebord de la patinoire. Elle espérait intérieurement que la brune avait perdu la capacité de lire en elle aussi bien qu’elle le faisait auparavant, sinon elle était perdue d’avance... Elle ne savait pas si maintenant était le moment idéal pour annoncer sa supercherie, mais elle entendait bien préparer le terrain sachant que ce ne serait pas une mince affaire. La dernière chose qu’elle souhaitait était que la brune se sente piégée ou trahie par son ancienne amie. D’autant plus que les motivations de Sloane restaient encore floues, même dans son propre esprit.

« Qu’est-ce que tu deviens ? » « Tu te fous de ma gueule ? » Je ris avant de croiser son regard, on ne peut plus sérieux. « Oh pardon, c'était sérieux ? » Je me raclais alors la gorge pour me donner un peu plus de crédibilité. « Ça fait plus de six ans, tu sais. » Ajoutais-je, plongeant dans ses beaux yeux verts qui, aussitôt m'envoutèrent de leur intensité habituelle, me faisant perdre pied à la discussion quelques instants. « Mais hum, je... suis mannequin. Je suis arrivée il y a quelques semaines et je squatte chez une amie pour l’instant. » Avouais-je finalement, puisqu'elle tenait tant à avoir de mes nouvelles, ou n'était-ce qu'une forme de politesse pour entamer une discussion à laquelle elle se sentait peut-être obligée de faire face.
Je restais sans voix face à une Sloane qui de tout évidence semblait aussi mal à l'aise que moi, si ce n'est plus perturbée. Cherchant rapidement une réponse dans son regard - comme autrefois j'avais l'habitude -, je n'y décelais qu'un profond malaise et quelques autres choses que je ne parvenais pas à définir - si tant est qu'elle pouvait le faire elle même -. « Tu attendais quelqu’un peut-être ? » « En fait, je... » Je me remémorais la chevelure de la jolie blonde à laquelle j'avais donné rendez-vous et m'apparut alors une idée qui me traversa l'esprit tel un éclair, je m'exclamais aussitôt : « C'est pas vrai... c'est toi blondie ??! » Les yeux écarquillés, je la pointais du doigt telle une malpropre, cherchant dans ce geste une quelconque approbation, un aveu et pourquoi pas une explication. Bornée, il ne me venait pas à l'esprit qu'il puisse s'agir d'un malentendu, que je puisse me tromper et que les ressemblances capillaires n'étaient que pure coïncidence. Quelque part, l'idée même qu'elle puisse avoir imaginé un tel stratagème dans le but de me revoir me flattait, flattait mon égo meurtri. Devais-je lui rappeler n'avoir jamais répondu à ses appels, à ses tentatives de recontact ? Se pouvait-il qu'elle ait mis au point toute cette histoire dans l'unique but de me faire parvenir sa rancœur ?

J'observais la jeune femme sous toutes les coutures. Elle avait perdu ses traits joufflus qui faisaient d'elle une véritable poupée. Ses lèvres pleines quant à elles portaient toujours la même innocence et ses yeux, vifs comme autrefois portaient le regard d'une femme beaucoup plus posée. Peut-être était-elle parvenue à dénicher son prince charmant, peut-être avait-elle rencontré l'homme de sa vie qui sait, à force de chercher, elle avait bien pu tomber sur l'homme de ses rêves et construit, pourquoi pas, une vie aussi ennuyeuse que tranquille, rythmée par des beaux parents un peu trop présents, des barbecues le week end avec des amis et un travail aussi chiant que stable. Je l'imaginais aussitôt vivre en banlieue, certainement mariée ou fiancée, projetant déjà d'avoir des enfants et d'acquérir une maison de campagne... j'hésitais à lui demander à son tour ce qu'elle devenait, mais avais-je réellement envie de savoir ? Avais-je envie de la laisser entrer dans ma vie de nouveau, même de façon éphémère ? En coupant contact avec les Hastings, j'avais fermé mon cœur à Sloane et par la même occasion à mes souvenirs qui, remontaient dès lors à la surface lorsque je croisais son regard, son doux regard...

« Viens, on bouche le passage. » Dis-je simplement lorsque je remarquais que les nouveaux entrants sur la piste soupiraient en passant derrière nous pour atteindre la sortie. J'attrapais alors la jeune femme par le bras pour l'entraîner sur la piste, profitant de cet instant de répit pour glisser sur la glace et profiter d'un vent d'air frais pour calmer le flot continuel de pensées qui commençaient à m'abrutir. Devais-je me réjouir de cette rencontre ? Poursuivre la discussion comme si de rien était, comme si nous ne nous étions jamais quittées, comme si son frère ne nous avait jamais laissées ? A cette pensée, je n'osais plus la regarder dans les yeux, de peur d'y retrouver son jumeau, de le reconnaître dans ses traits et de voir réapparaître quelques souvenirs douloureux d'antan.