Si seulement j'osais lui dire ce que je ressens, ce que je ressens vraiment... je l'aime tant. Je suis amoureuse de son regard d'ange, de sa voix de poupée et de son teint de porcelaine, de son rire qui retentit toutes les cinq secondes. Un peu moins de sa fâcheuse tendance à tomber amoureuse de n'importe qui, n'importe qui sauf moi. Comme ce mec de vingt huit ans. D'abord, d'ou il sort celui-là ? Je bouillonne. Elle ne sait pas dans quel état ça me met, ça me fout la rage. Pourtant j'ai Ben, un type qui partage ma vie depuis bientôt trois ans et dont le sourire à tomber en fait craquer plus d'une, moi y compris mais... ce n'est pas Sloane. Je ne peux que reconnaître le cliché exaspérant dans lequel je suis tombée. Amoureuse de sa meilleure amie, comme c'est original. Et pour ne pas déroger à la règle scénaristique de ce cliché, celle-ci est hétérosexuelle. Il n'y a qu'une personne au courant de mes sentiments, comble de l'ironie, il s'agit de son frère jumeau; Jace, mon meilleur ami. Un chouette garçon avec qui je passe tout mon temps tandis que lui passe le sien à me répéter que Ben est le mec parfait pour moi. Au moins il ne me juge pas, c'est déjà ça.

Elle ne s'imagine pas une seule seconde à quel point la situation me fait souffrir, à quel point mon cœur se déchire quand je la vois au bras d'un autre, quand je la vois sourire bêtement quand il lui envoie un texto ou quand elle se précipite vers lui... et comble du paroxysme, c'est à moi qu'elle raconte toutes ses histoires. Moi, sa meilleure amie, juste sa meilleure amie. J'ai su à la seconde ou nos lèvres se sont entrelacées qu'elle était la fille, qu'importe son sexe alors que je me croyais hétérosexuelle jusqu'au bout des ongles, qu'importe le fait qu'elle le soit vraiment, elle, qu'importe la raison elle-même, j'avais su. J'avais su que je l'aimais, que je l'aimerais et le reste n'avait soudainement plus aucune importance, je voulais être avec elle, quoi qu'il m'en coûte...
Je me souviens encore de son sourire lorsque j'arrivais le matin aux portes du lycée pour la saluer, de nos étreintes entre les cours et de nos soirées entre filles ou on parlait (enfin surtout elle) des garçons. L'amour semblait-il, avait une si grande importance pour elle ! Elle le cherchait n'importe ou, persuadée à chaque fois qu'un type se pointait qu'il était l'homme de sa vie... jusqu'à ce qu'elle se lasse et le jette pour passer au suivant et je restais spectatrice de ses humeurs et de mes propres sentiments qui, jamais formulés, jamais exprimés n'avaient pu s'épanouir et m'avaient rendue quelque peu amère. Au moins, elle dormait dans mes bras. Du moins c'est ce que je me disais pour me consoler (...).


« Je ne sais pas, ça fait comme... comme un vide. Un vide que je ne sais pas expliquer, un truc moche qui persiste encore et toujours... » Aujourd'hui, ça fait deux ans que Jace est décédé. Décédé. Je ne me fais toujours pas à ce mot. Je ne me fais toujours pas à ce qui s'est passé, je préfère l'imaginer se dorer la pilule quelque part au chaud, à faire tomber toutes les filles d'un simple regard plutôt qu'entrain de pourrir à six pieds sous terre. « C'était... c'était comme un frère pour moi. Je vais bien et l'instant d'après... je pense à lui. » Je me mordais alors les lèvres, un tic que j'avais lorsque quelque chose me préoccupait. Je n'étais pas du genre à verser une larme mais j'aurais bien voulu, juste parce qu'il parait que ça fait du bien alors que mes pensées me font du mal. Peut-être aurais-je pu profiter un peu plus de lui si je n'avais pas été aussi obsédée par sa sœur... tout ça pour, comme j'aimais le qualifier, une « amourette de lycée qui n'avait conduit à rien ».
Je n'ai jamais téléphoné. Je n'ai jamais envoyé de cartes ni répondu aux messages sur facebook, à croire que j'avais aussi besoin de couper contact avec elle et sa famille, famille que je considérais comme la mienne et qui m'avait vue grandir, qui m'avait presque élevée alors que mes propres parents n'étaient jamais à la maison, trimant pour payer le loyer d'une maison minuscule qu'ils avaient fini par quitter à la fin du lycée, m'emmenant avec eux dans leurs bagages alors que je profitais de cette occasion pour fuir et recommencer ma vie ailleurs. Ce n'était ni plus ni moins qu'une fuite en avant. J'avais beau me persuader d'avoir tiré un trait sur cette histoire, sur la disparition de mon meilleur ami et de sa sœur, préférant croire que je n'en étais jamais tombée amoureuse alors qu'inconsciemment je cherchais dans mes conquêtes son parfait sosie.